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le dauphiné.

« Gare la queue des Alleman ! disait le proverbe… Oncques ne l’a touchée sans male-mort. »

Cette terrible famille se réunissait souvent, afin de resserrer encore ses liens de parenté. Elle avait compris que de sa cohésion naissait sa force.

Le chef de la branche ainée présidait, dans la grande salle réservée aux délibérations. Là, en présence des ancêtres dont les portraits couvraient les murailles de leurs cadres sombres, chacun promettait de sacrifier son opinion à celle qui serait adoptée. Alliances, mœurs, soins apportés au patrimoine, conduite à tenir en moments difficiles, le conseil jugeait sans appel. Une phrase suffisait pour cela, un mot – et ce mot était inscrit sur le livre des fastes et ne s’effaçait plus.

Les Alleman n’eurent au monde qu’une passion, qu’un besoin : se battre, se battre et se rebattre encore. Que de beaux coups de main leur sont dus ! Et parmi ceux qui furent les premiers à l’estoc, en est-il de plus magnifiquement fauve que ce Sofrey, connu sous le nom de capitaine du Mollard ?

Symphorien Champier nous a laissé son image : « Moult beau chevalier, grand de corps, nerveux de membres, grand et large de poitrine, puissant de sa personne, hardi de cœur, doux et gracieux à ses voisins et par renommée de son époque, un des plus forts et robustes du royaume de France. »

Pour être au xvie siècle « un des plus forts et robustes du royaume de France ! » quelle sorte d’Hercule fallait-il représenter, justes dieux ? Et devra-t-on s’étonner que ce banneret de six pieds qui fendait d’un coup de hache un homme, de la tête au nombril, ait été le héros des campagnes d’Italie ?

C’est lui qui surprit, un soir, le pape Jules II. Il l’eût fait prisonnier si, au moment de l’attaque, la garde pontificale n’était venue.

C’est lui qui enleva l’étendard de l’Église, présenté à Louis XII dans sa ville de Grenoble. Dernier exploit de ce précurseur de Bayard qui, peu de jours après, mourait à Ravenne « percé d’outre en outre ».

Et aussi, dernier exploit des Alleman, qui désormais ne feront plus la guerre, abandonnant l’épée pour la robe…

En 1630, leur seigneurie passait par échange aux de Boffin ; en 1659, l’unique héritière de cette maison la portait dans la famille de Langon, dont la marquise de Gautheron, fondatrice des thermes actuels, fut la dernière descendante.

Les thermes d’Uriage ! La fons roburis des anémiés, des lymphatiques et des eczémateux. On boit de son eau tiède, fumante d’acide sulfhydrique, en se bouchant le nez… trois, quatre, cinq verres… on s’inonde — et il n’est persistante lésion, il n’est prurigo, impetigo, herpės, lupus et autres maladies à noms latins et grecs, il n’est scrofules de tous sexes et de tous rangs qui résistent à ce déluge.

L’histoire d’Uriage se confond naturellement avec celle de ses sources.