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le dauphiné.

capitaine…) Montbrun trouva le moyen. Il fit semblant de se diriger vers les Hautes-Alpes, tandis que secrètement il revenait sur ses pas en marches forcées… Le 10 avril 1574, dans la nuit, il commençait l’assaut. Victoire complète. Royans se rendit.

Dire, oh ! combien, à leur tour, les catholiques pestèrent de ne plus l’avoir, cette belle forteresse ! C’était peu commode à regagner. On essaya cependant. Le 19 mai, vingt-deux compagnies ouvraient le feu et trois quarts d’heure après, l’oriflamme papiste flottait au pinacle des tours. Quelques-uns voulurent prolonger la résistance en s’enfermant dans la corbeille, sorte de barbacane bâtie en contre-bas. On ne chercha même point à les en déloger. On y mit le feu. Et les hérétiques grillèrent : autant de pris sur l’ennemi. Douce époque !

Mais l’ennemi veillait, voulant sa revanche. Et pour ce, le petit jeu des surprises allait recommencer. Le 29 mai, jour de la Pentecôte, Montbrun refaisait son entrée et sabrait toute la garnison « en représailles des traitements que ses frères en Dieu avaient précédemment essuyés ». Douce époque !

Il s’agissait pourtant de mettre un terme à ces décapitations journalières. Henri III, ou plutôt Catherine de Médicis, voulut prendre des mesures sérieuses. Sur ses ordres, le capitaine Chaboud de la Côte met le siège. Les Royannais se défendent en désespérés, font sauter les routes, le pont… Le pacificateur Chaboud persiste, fort de son bon droit, et brûle et saccage la ville.

Restés seuls, les huguenots campent, au milieu des débris incendiés, dans cette même corbeille réparée tant bien que mal.

Sans doute, maintenant qu’ils sont les maîtres incontestés de leur bastille, vont-ils s’unir, se fortifier, pour la lutte prochaine contre les armes royales ? D’aucune façon.

Nos huguenots se disputent comme de simples orthodoxes.

En l’absence du gouverneur Dalliers, retenu à Die, à la suite du prince de Condé, le sergent Port, gardien du château, veut rétablir l’entente. Il descend à la Corbeille. On l’écoute patiemment. On l’approuve. Le différend semble aplani. Tout joyeux, Port rejoint son poste. Il veut rentrer. Impossible. Ses gens l’ont fermé dehors.

Il appelle le sergent Pivert, son subordonné. Celui-ci arrive, flegmatique, et par le guichet de la poterne lui notifie la récente décision prise, à savoir que les soldats ne veulent plus de son autorité à lui, Port.

Port se répand en reproches et en malédictions. L’irrévérencieux Pivert éclate de rire et, suprême injure, finit par lui montrer la… suite de son épine dorsale, en l’invitant, d’un air aimable, « à s’en retourner dans son pays, pêcher des huîtres ».

Pêcher des huitres n’était pas du tout l’affaire de Port qui tenait à son grade. Il insista, il parlementa — et durant qu’il parlementait, qu’il insistait, les catholiques reprenaient la place.