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le dauphiné.

le soir, quand elle voulait punir les hommes. Encore des rochers à pic conquis à coups de tunnels, encore des sapins et des sources jusqu’à Lolettes. Ici les parois s’écartent, laissant place au grand bassin de Lans.

Au seuil des vallées d’Autrans et de Méaudre, terre close dont l’exploitation des forêts, jointe à l’élève du bétail, constitue la seule industrie.

Une histoire d’ours, ici, me fut contée :

« Il y avait longtemps que le père Cocat voyait, à chaque saison, le miel de sa ruche disparaitre.

« Enfin qu’y se dit, comme ça, un jour, je voudrais bien savoir le nom de mon voleur. Il me faut en avoir le cœur net.

« Son fusil chargé, il se mit à l’affût. Une nuit, deux nuits, trois nuits, rien… Plus de voleur. Déjà il s’était levé pour rentrer chez lui, quand, tout à coup, voilà qu’une espèce d’ombre s’approche doucement. Pan, il tire.

« Patatras, on entend un cri — et l’ombre dégringole dans le ravin. Va-t’en voir s’ils viennent ! Le vieux désespéré se met à pleurer, à s’arracher les cheveux :

« — Je l’ai tué ! j’ai tué un homme, c’est sûr ! Les gendarmes vont venir me prendre !…

« Péchère, pendant toute la semaine, il ne put ni manger ni boire, ni dormir, le pauvre ! Il dépérissait, devenait minable.

« — Qu’est-ce que tu as, Cocat ? demandait sa femme.

« Mais, comme bien vous pensez, il répondait rien et s’en allait pleurer tout seul dans la grange.

« Enfin ça pouvait pas durer plus longtemps comme ça ; il fallait se décider à parler. Cet homme, là-bas, dans le ravin, on finirait par le découvrir… Et si on le découvrait, les soupçons se porteraient sur lui, on l’interrogerait, il se troublerait : on le guillotinerait… Y a pas à dire : fallait parler, fallait parler !…

« Il alla trouver le garde champêtre :

« — J’ai tué un homme, qu’il lui dit comme ça.

« — Vous rigolez, que lui répond le garde.

« — Non, non, que je rigole pas.

« — Allons ! allons ! vous avez tué un homme, vous !… vous !… ah bien ! elle est bonne, celle-là ! Tenez, si c’est vrai, je paye un litre !… Sacré farceur, vous avez tué un homme !… Et comment qu’il était, cet homme ?… Ce serait pas une femme, des fois, hein ? Vieux rigolo, va !

« — Non, non, que je rigole pas. Je l’ai vu tomber là, dans ce trou. J’étais en cas de défense, il venait de me voler mon miel.

« — Alors quoi, c’est donc sérieux cette blague-là ! Je vas aller avertir le maire. Suivez-moi, vous êtes mon prisonnier.

« On avertit le maire, l’adjoint, les conseillers municipaux ; on télégraphie au parquet. Et puis on descend dans le précipice.

« Effectivement, il y avait, au fond, un gros tas noir avec du sang autour.

« On s’approche.