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le dauphiné.

qui a élu domicile dans les ravins des monts de Lans. Sous la voûte gigantesque des roches, d’où se précipite le Furon, dans les bois et dans les éboulis menant aux grottes, dans les grottes elles-mêmes, et dans les Cuves — les fameuses Cuves qui, d’après la tradition, indiquent pluie ou sécheresse, suivant le plus ou moins grand volume d’eau qu’elles contiennent — là sont les appartements de dame Mélusine. Cherchez bien, vous trouverez encore la dolomie qui lui sert de table.

Terre de légendes. Partout, à chaque pas, il en est une.

À Pariset, les archéologues dégagent un hôtel païen ; un peu plus loin, se fixe le torse d’une vieille muraille percée de deux trous, seuls restes de la tour carrée — la Tour-sans-Venin — bâtie par Roland, le neveu de Charlemagne.

Pour lors Roland, guerroyant contre l’Infidèle, alors maitre de Grenoble, éleva cette tour afin de commander à la vallée du Drac. La guerre était rude ; son armée venait, à toutes charges, se briser contre le bloc épais de l’ennemi.

Roland eut recours au ciel. Toujours maintenant l’état de siège, toujours repoussé et toujours opiniâtre dans l’attaque, sept ans il attendit que le ciel voulût bénir ses armes.

Et le jour du miracle arriva. Après un jeûne de quarante heures, les troupes défilaient processionnellement le long des remparts, lorsque tout à coup l’aile droite de la porte s’effondre. Par cette brèche, les vainqueurs entrent dans la place.

Mais ce n’est point pour cet épisode de sa fondation que la Tour-sans-Venin resta célèbre. La « fille de Roland » passa à la postérité, grâce au singulier privilège qu’elle possédait de ne laisser vivre, en son enceinte, « aucune espèce d’animaux venimeux, ni crapauds, ni scorpions, ni araignées ».

Symphorien Champier, auteur d’un livre sur la Vie et les gestes du preux chevalier Bayard, s’exprime ainsi à ce sujet :

« La seconde singularité du noble pays du Dauphiné est la Tour-sans-Venin, environ le meillieu de la montaigne de la rivière de l’Isère et du Drac, en laquelle beste venimeuse ne peult vivre, car incontinent qu’on la boute dedans, elle meurt. »

La Tour-sans-Venin : quelle est la cause première de ce nom ? Pilot de Thorey croit pouvoir répondre qu’il s’agit là d’une tradition primitive se rattachant à la théogonie exotérique, au culte même d’Isis, honoré autrefois à Pariset. « Grégoire de Tours parle d’une croyance répandue de son temps et voulant qu’à Paris, l’ancienne Lutèce qui était également consacrée à Isis, les reptiles n’aient jamais pu séjourner. Il est à peu près certain que ces deux traditions doivent avoir la même source, parce que dans l’amalgame des mots Paris et Pariset se trouve ce nom d’Isis, protecteur des Égyptiens, regardé par eux comme les préservant de la morsure des serpents. »