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Tel cependant a été le ſort d’une partie des victimes des tremblemens de 1783. Qui peut donc ſans frémir, penſer aux deſaſtres de la Calabre ? Qui peut d’un oeil ſec parcourir un des plus beaux pays de la nature, ſur lequel les tremblemens de terre ont déployé leur rage avec une fureur dont il n’ y a pas d’exemples ? Qui peut enfin, ſans une terreur profonde, conſidérer l’emplacement des Villes, dont le ſol même a diſparu, & dont on ne peut juger de la ſituation, que relativement aux objets, dont elles étoient environnées. Telles ſont les premières idées, qui ſe préſentent a ceux qui voyagent dans la Calabre ulterieure ; telles ſont les ſenſations que j’ai éprouvé a chaque pas que j’ai fait, en viſitant cette malheureuſe province, dans les mois de Fevrier & de Mars 1784. telles ſont, enfin les impreſſions qui empechent de conſidérer ces objets avec aſſez de ſang froid, pour juger des effets & remonter aux cauſes. Le naturaliſte & le phyſicien doivent être en garde contre les élans de leur ſenſibilité, & de leur imagination, pour ne voir dans ce qui cauſe les malheurs d’une infinité de familles, & la deſtruction de 40 mille hommes, qu’un leger effort de la nature 14.1, &

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14.1. Un effort un peu plus violent auroit peut-être ſuffi a la nature, pour occaſioner une cataſtrophe preſque générale, pour changer abſolument l’ordre actuel des choſes, pour plonger la génération preſente & celles qui l’ont précédé dans la nuit de l’oubli, pour faire diſparoitre les monumens de nos arts & ceux de nos connoiſſances, & pour ramener enfin les ſocietés aux tems de leur première enfance. Nous calculons les effets de la nature d’après nos moyens ; elle nous paroit terrible & armée de tout ſon pouvoir, lorſquelle change quelque choſe aux loix, aux quelles

nous