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temps d’avancer, ce qui favorisa la fuite des nôtres, qui sans cela eussent tous été pris ; les ennemis prirent la résolution d’aller sur lui et alors, il choisit le capitaine qu’il jetta raide mort d’un coup de fusil, ce qui effraya tellement tous les autres que cela les mit en balance s’ils devaient essuyer encore un coup de pistolet qu’il avait à tirer ; mais enfin, voyant que Brigeart était seul et qu’il n’était point soutenu, ils firent une décharge sur lui dans laquelle lui ayant rompu le bras et fait tomber son pistolet, ils se jetèrent sur lui et se mirent ensuite à faire de furieuses décharges sur un grand bateau plat, lequel tachait de se mettre au large ; par leurs coups de fusil, ils tuèrent et estropièrent plusieurs personnes, entre autres deux braves enfants de famille, nommés MM.  Moyen et Deschesne, le dernier de ces deux exhortant son camarade à la mort, sans songer à être blessé lui-même, tomba raide mort dans le bateau. C’est une chose étonnante que la peur, car il y avait là de braves gens ; mais quand l’appréhension s’est une fois saisi du cœur humain, il s’oublie de soi-même ; au reste, si le brave M. Brigeart eut pu arriver assez tôt pour faire la découverte et mettre son monde à terre dans l’ordre qu’il fallait observer, ce malheur n’eut pas arrivé ; mais c’était nue permission de Dieu et non pas de sa faute. Revenons à M. Vignal afin de voir ce qui lui arriva ; ce bon prêtre voyant tout le monde en ce désordre voulut se mettre dans le canot d’un de nos meilleurs habitants nommé M. Réné Cusillasier, dont malheureusement il trempa le fusil dans l’eau y voulant monter, ce qui ayant réduit cette personne sans défense, les Iroquois tirèrent sans crainte sur eux avant qu’ils aient eu le loisir de prendre le large, ce qu’il leur réussit si malheureusement pour nous que M. Vignal fut percé d’outre en outre et ensuite pris avec Cusillasier, ce pauvre homme ainsi percé fut jeté comme un sac de tabac dans un canot et son compagnon d’infortune fut mis dans un autre ; M. Vignal se levant de temps en temps du milieu de son canot avec beaucoup de peine disait aux autres prisonniers qui étaient proches dans les autres canots : "Tout mon regret dans l’état où je suis est d’être la cause que vous soyez dans l’état où vous êtes, prenez courage et endurez pour Dieu.” Ces paroles prononcées dans un état aussi digne de compassion que celui où il était, crevèrent le cœur de tous pauvres captifs ; enfin on les emmena les uns et les autres au pays ennemi, hormis M. Vignal qu’ils ne trainèrent pas loin ; car le voyant trop blessé pour faire un long voyage, ils le brûlèrent pour l’achever et lui donnèrent lieu d’offrir à son Créateur le sacrifice de son corps en odeur de suavité, étant brûlé sur un bûcher comme le grain d’encens sur le charbon sans qu’il est a rien de son corps,