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l’avait empêché de faire davantage, ce bon père entendant ce discours, le tira à part et lui donna un morceau de pain assaisonné de deux sucres tous différents, l’un de Madère et l’autre de l’appétit.

De l’automne 1666, jusqu’à l’automne 1667 au départ des vaisseaux du Canada.


Dans la fin de cet automne, M. Frémont, prêtre de cette communauté, se rendit aux Trois-Rivières, afin d’y assister les habitants selon son ministère, mais il fit un voyage fort rude et dangereux, d’autant qu’il fut obligé de descendre fort tard dans une petite barque fort mal provisionnée qui croyait être bientôt rendu, mais qu’un vent contraire fit tromper en son calcul, car elle fut longtemps à se rendre, et par dessus cela, on y souffrit de froid dans le dernier excès, tous les bords du fleuve se glacèrent jusqu’au courant qui, se trouvant moins fort lorsqu’ils furent dans le lac St. Pierre, se gela aussi bien que le reste, si bien qu’il leur fut impossible d’avancer ni de reculer, non plus que d’aller à terre par dessus les glaces à cause qu’elles étaient trop faibles, ce qui réduisait tout le monde dans une extrême anxiété, surtout à cause que l’on avait pas de quoi se couvrir et que l’on manquait de bois pour faire du feu, ce qui eut été insupportable à quelques-uns entre autres pendant la nuit, si M. Frémont ne leur eut donné sa couverte par charitable compassion, d’autant qu’il n’en avait point et qu’il était fort mal vêtu ; après que Dieu les eut tenu assez longtemps en cette épreuve où la diète était jointe aux rigueurs du froid, il fit souffler les vents avec une telle impétuosité, qu’ils firent sortir ce bâtiment du lac et le porta jusqu’à l’autre côte des Trois-Rivières où ayant mis pied à terre ils firent un grand régal par le moyen d’un grand feu qu’ils allumèrent, ce que MM. des Trois-Rivières ayant vu, s’imaginant bien que ce prêtre dont nous venons de parler était dans cette compagnie à cause qu’ils l’attendaient pour leur servir de curé, ils se résolurent d’hasarder le passage pour aller le chercher en canot d’écorce, ce qui réussit fort bien, parce que jamais ils n’eussent pu venir à eux en ce temps-là à cause des grosses glaces qui étaient aux Trois-Rivières. Je ne vous dis point ici ce qu’ils firent étant arrivés aux Trois-Rivières, parceque vous jugerez bien qu’après avoir remercié Dieu, ils ne manquèrent pas de se bien réchauffer et de bien faire voir leur appétit. Quant à ce qui regarde la guerre des Iroquois, nous ne vous parlerons plus de leurs embuscades, car la peur de la précédente campagne les avait tellement effrayés que chaque arbre leur paraissait un Fran-