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et tu seras dans ses bras… Elle pleurera… mais ce sera de joie, en voyant son fils, son bon Julien, décoré de l’étoile des braves !

Robert.

Oui, mes amis, notre Julien mérite le bonheur, et à plus d’un titre ; j’en sais quelque chose, moi !

Julien.

Allons, allons, Robert, je t’en prie, tais-toi.

Robert (souriant).

Tais-toi donc toi-même, monsieur le modeste… Écoutez, mes amis, ce petit épisode de notre carrière militaire !… C’était presque sous les murs de Sébastopol ; j’étais avec mes camarades, placé en éclaireur pendant la nuit… Le poste, croyez-le bien, n’était pas très agréable ; mais le devoir avant tout, le soldat ne sait qu’obéir… Donc, jusqu’à dix heures, tout paraissait tranquille… quand, environ une demi-heure après, une vive fusillade se fait entendre du côté des remparts de Sébastopol !… Les balles pleuvaient comme la grêle ; nous n’étions pas nombreux, 150 hommes à peu près, et nos coups de fusil ne pouvaient presque rien !… À la lueur des pots à feu lancés par les Russes, ces derniers découvrent notre ligne d’éclaireurs, malgré nos quelques embuscades… Que faire ?… Je l’ignorais comme mes camarades… Abandonner notre poste… impossible ! Les balles sifflaient toujours… et au moment où nous cherchions le moyen de battre en retraite pour retourner au camp et rejoindre notre corps… une gueuse de balle arrive et me fracasse la jambe !… Je tombe !… Impossible de me relever… mes camarades, battaient en retraite et ne me virent ni ne m’entendirent… Je suis flambé, me dis-je… Les Russes tiraient toujours et mes compagnons s’éloignèrent lentement en soutenant le feu !… Que faire ?… Le jour paraîtra… les Russes ne me feront pas de quartiers !… Il faut mourir ici, me dis-je… je murmure une prière du fond du cœur, un adieu au pays et j’attendais la mort !… quand tout à coup, une voix amie murmure à mon oreille : Non, non, Robert, tu ne resteras pas ici, je te sauverai ou nous