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teur allemand occupa sa place. Mon père nous abandonnait en plein hiver, laissant ma mère avec neuf enfants, sans ressources aucunes.

Ma mère s’en fut trouver le curé, qui bientôt intéressa plusieurs dames à notre sort ; elles furent tout de suite d’accord pour me mettre, jusqu’à ma majorité, dans un établissement de bienfaisance. Notre ahurissement fut intense. Ma mère s’étant rendue à cet établissement pour les arrangements à prendre, et ayant vu des petites filles qu’on y élevait, vint nous dire que ces enfants avaient l’air si matées et s’inclinaient si profondément devant la supérieure, et ceci… et cela… Bref, l’idée seule de savoir sa petite Keetje aussi aplatie lui serrait la gorge, et, quand elle dut signer un acte par lequel elle renonçait à tout droit sur moi, elle refusa. Zut ! elle aimait mieux que j’eusse faim avec elle : en somme, nous en avions vu bien d’autres !

Ce nous fut un grand soulagement de nous être décidés à crever de faim ensemble.

Nous fîmes, à cette époque, la connaissance de tous les établissements de charité d’Amsterdam. Un d’eux nous donnait trois pains noirs par semaine ; un autre, tous les quinze jours, un florin en pièces d’un cent : il y avait bien pour cinq cents de mauvaise monnaie, mais enfin !