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l’autre extrémité d’Amsterdam, où ils habitaient.

Je me rendis d’abord chez les Smeders. Ceux-ci étaient des ouvriers comme nous, même d’un cran inférieurs. Le mari, manœuvre aux docks, ne savait pas de métier, tandis que mon père était un cocher très capable, employé chez un grand loueur : il avait un beau fouet bagué d’or, et portait une cravate blanche sur le siège, aux enterrements et aux mariages. Mais les Smeders n’avaient qu’un enfant, élevé presque entièrement par sa grand’mère ; chez nous, il y en avait huit que mon père était seul à faire vivre. Ce nous était une grande mortification de devoir accepter la charité de nos égaux.

C’est avec appréhension que j’ôtai mes sabots au bas de l’escalier presque perpendiculaire et soigneusement récuré à l’eau de craie, et que je montai en me tenant au câble qui servait de rampe. Arrivée en haut, je frappai craintivement à la porte : après qu’on m’eut répondu, j’ouvris et pénétrai dans la chambre. Mademoiselle Smeders me regarda assez froidement.

— C’est toi, Keetje, par ce temps-là ? Prends garde, tu salis la natte. Va t’asseoir là, — elle m’indiqua une chaise près de la porte, — et tiens tes jambes suspendues, pour ne pas salir les barreaux.