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En arrivant à l’orphelinat luthérien, où on distribuait la soupe, nous dûmes faire queue. Ma mère n’osait pas : elle me passa le seau et alla m’attendre aux environs.

Je revins, le seau rempli de bonne soupe bien chaude. Il y avait du verglas ; j’avais de grands sabots de ma mère aux pieds ; je me tenais, de ma main libre, aux chaînes du perron de l’orphelinat. Le verglas me fit glisser sous les chaînes, et je tombai sur le dos en répandant la moitié de la soupe.

Je pleurais. Un homme vint à mon secours : il me ramassa et bougonna que ce n’était pas une charge pour une petite fille. Il se disposait à porter mon seau, quand je lui dis que ma mère était au milieu de la rue.

— Ta mère ! Eh bien, alors ?

En effet, ma mère nous regardait sans approcher, mortifiée et rougissant de honte et de colère de ce que j’avais signalé sa présence. Quand l’homme me conduisit vers elle et lui manifesta son étonnement, elle ne trouva à répondre que :

— Il n’y a rien à faire avec cette créature enfantine !

J’avais onze ans.

Elle saisit le seau, me jeta un regard furibond,