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du Canal des Seigneurs, une jeune dame sortit de la maison, accompagnée d’une fillette de mon âge : à peu près dix ans. La petite fille s’arrêta pour regarder mes joujoux ; puis elle chercha dans sa poche, y prit une pièce de monnaie et voulut me la donner. Je fermai mes deux mains et les mis derrière mon dos, en regardant la petite demoiselle. Elle rougit jusque dans le cou et se sauva près de la dame ; elle lui entoura le corps de ses bras et, cachant sa figure dans les vêtements, pleura en lui parlant. La dame la conduisit vers moi et m’offrit des bonbons que j’acceptai ; puis elle s’adressa à la fillette en une langue étrangère. La petite répondit dans cette langue :

— Non ! Non !


en trépignant et en cachant ses mains. La dame parlementait et, lui prenant une main, la mit dans la mienne.

Nous nous regardâmes. Elle avait les yeux bleus et les cheveux blonds bouclés, comme moi. Je la comprenais mieux en ce moment que je n’avais jamais compris les gens de ma classe ; mais pourquoi, étant si semblables, était-elle si autre ? Je l’aurais griffée, je l’aurais piétinée pour cette différence, que je ne pouvais comprendre et qui me semblait hostile.