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Au bout de quelques jours, notre ménage marcha régulièrement, comme jamais il n’avait marché. Les enfants mangeaient aux heures, étaient lavés, allaient à l’école ; ma mère vaquait au ménage ; mon père ne buvait plus : il faisait le café et pelait les pommes de terre. Seule, je rageais et pleurais, accroupie sur le vieux canapé qui me servait de lit.

La simplicité avec laquelle mes parents s’adaptaient à cette situation, me les faisait prendre en une aversion qui croissait chaque jour. Ils en étaient arrivés à oublier que moi, la plus jolie de la nichée, je me prostituais tous les soirs aux passants. Sans doute, il n’y avait d’autre moyen pour nous de ne pas mourir de faim, mais je me refusais à admettre que ce moyen fût accepté sans la révolte et les imprécations qui, nuit et jour, me secouaient.

J’étais trop jeune pour comprendre que, chez eux, la misère avait achevé son œuvre, tandis que j’avais toute ma jeunesse et toute ma vigueur pour me cabrer devant le sort.