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La nuit du mardi-gras deux accouchées, qu’on venait d’apporter et qui criaient sans répit, m’empêchèrent de dormir. Cependant la musique du carnaval, à la rue, me donnait une folle envie de danser. Je me mis sur mon séant. La grande salle de 28 lits était éclairée, au milieu, par un seul bec de gaz assourdi. La bonne chaleur du poêle, les rideaux blancs, de jeunes visages sur des oreillers voisins, me faisaient déjà me sentir chez moi.

J’écoutais la joie du dehors avec des frémissements de désir d’en être ; j’appelai doucement ma voisine, toute jeune comme moi.

— Toinette ! Toinette ! écoute : on chante, et la musique joue une valse.

— Une valse ? une valse ? bredouilla-t-elle.

Elle s’assit sur son lit.

— Oui, j’entends, ils s’amusent ferme.

Je voyais ses yeux noirs flamboyer et avec son bonnet tuyauté, de travers, elle était jolie, jolie…

Une des accouchées criait :

— Oh ! mon ventre, mon ventre !

— Viens regarder par la fenêtre, dit Toinette.

Nous nous levâmes et, pieds nus, courûmes écarter le store ; mais le balcon interceptait la vue. Nous ouvrîmes, et du balcon, en chemise,