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ger et n’en était guère incommodée, tandis que mon père souffrait énormément de ces privations, et, quand alors il entrait un peu d’argent, il y avait des conflits. L’un voulait tout dépenser à de la nourriture ; l’autre prétendait en distraire une partie pour des vêtements ou autres choses indispensables. Aussi ma mère avait-elle toujours un bas et faisait-elle des cachotteries continuelles, qui mettaient mon père en fureur.

Ces deux êtres, de race et de nature si différentes, s’étaient épousés pour leur beauté et par amour ; leurs épousailles furent un échange de deux virginités ; ils eurent neuf enfants. Pour le surplus, peu de leurs goûts et de leurs tendances s’accordaient, et, avec la misère comme base, il en résulta un gâchis inextricable.

Nulle part, autant que chez nous, je n’ai entendu parler de beauté. Quand nous nous rêvions riches, nous nous entretenions surtout de ce que nous aurions appris, de toutes les belles choses dont nous nous serions entourés, et, pour des affamés comme nous, la nourriture ne venait qu’en dernier lieu.

J’ai souvenance d’un dimanche après-midi, où mon père voulait faire la lecture à ma mère, qui avait un nouvel enfant au sein ; il en était em-