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Comme nous étions de nouveau affalés sur un banc, un pochard vint s’asseoir à côté de nous, en bougonnant. Il avait en main un paquet ficelé : c’étaient visiblement des tartines. Hein et moi, nous échangeâmes un regard, et nous nous comprîmes. Le paquet tomba : d’un coup d’œil, je fis lever Hein, qui contourna le banc, ramassa le paquet et s’éloigna lentement ; je restai assise. L’homme s’aperçut bientôt de la disparition de ses vivres ; en cherchant autour de lui, il bégayait :

— Les cochons ! ils me les ont volés !

Alors, comme dégoûtée de ce voisinage, je me levai et m’éloignai à mon tour. À l’extrémité du Parc, je rejoignis mon frère. Nous défîmes fiévreusement la ficelle, mais, au lieu des tartines bien beurrées que nous espérions, nous ne trouvâmes que deux tranches de pain très rassis et sans beurre : c’était égal ! il nous sembla exquis.

Ma mère arriva à l’heure convenue. Elle nous dit que ma mauvaise tête l’avait fait passer par des transes mortelles ; que mon père s’était mis à errer par les rues avec le camion ; qu’elle avait vu un appartement à louer et qu’on nous avait acceptés. Elle nous conduisit dans une rue de faubourg, au second étage d’une maison, dont encore une fois une boutique de comestibles