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Ma mère me fit en passant signe de venir, mais je vis de loin accourir la femme, rouge, hagarde, haletante. J’eus le temps de me cacher derrière un arbre, car elle m’aurait écharpée, et quand elle fut passée, je me sauvai. Rejoindre ma famille, il ne fallait pas y songer pour l’instant. Je fis un long détour, et aboutis au pont de Laeken. C’était fête dans ce faubourg : il y avait une foule rigolante. Près du pont, au bord du canal, le camion était arrêté, ma mère et les enfants à côté, mon père, ivre, couché à l’intérieur. Ma mère me mit au courant : la femme les ayant rattrapés, avait prévenu les nouveaux propriétaires que nous ne payions personne, et ceux-ci avaient rendu l’argent du demi-mois de loyer donné en compte. Et nous voilà dans la rue ! Mon père, déjà pris de boisson, s’était enivré complètement, et, comme il ne rentrait pas avec la voiture, il allait sans doute perdre sa place.

La honte et l’angoisse m’affolèrent. Mon frère Hein, qui avait seize ans, se trouvait là, mortifié comme moi. Je lui dis :

— Viens, Hein, nous ne pouvons rester, comme des vagabonds, à côté de ce véhicule et de cet ivrogne. Allons-nous-en, nous trouverons bien un gîte.