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la cabine commune, plusieurs passagers jouaient aux cartes et aux dés : tous avaient trop bu ; le tabac, l’alcool, et une odeur fade, indéfinissable, empuantissaient l’atmosphère. Un ivrogne avait accaparé tout un banc, s’y était étalé sur le dos, et divaguait, à haute voix, en se donnant de grands coups de poing sur la tête ; son haleine d’alcoolique semait la nausée. Nos enfants dormaient sur des coins de banc ; Mina se faisait peloter par un des chauffeurs ; ma mère et moi étions accroupies dans un coin à terre, serrées l’une contre l’autre, très apeurées et n’osant dormir.

Nous arrivâmes le matin à Rotterdam, où des agents de police nous attendaient ; ils interpellèrent ma mère, en demandant « si c’était elle, cette femme ». Je fus si humiliée qu’en traversant la passerelle, je dis tout haut à l’un d’eux :

— Mais on va croire que nous sommes des malfaiteurs !

— Non, mon enfant, répondit-il, nous ne les traitons pas ainsi.

Ah ! cela me soulageait. Ils nous conduisirent très aimablement jusqu’à un bateau en partance pour Anvers.

Ma mère avait emporté une provision de petits pains rassis qu’on vendait au rabais. Hein vint me dire, tout joyeux, qu’il aimait beaucoup voya-