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heure, j’avais le sang à la tête de respirer l’air empesté de notre taudis ; j’étais néanmoins frémissante de bonheur de me trouver parmi les miens.

Je grandissais, et commençais à échapper complètement à mes parents. J’étais sans aucune instruction ; mais depuis l’âge de sept ans, auquel j’avais appris à lire, je dévorais avidement n’importe quel écrit qui me tombait sous la main. En 1870, j’allais, en me rendant à l’école, lire, depuis le premier mot jusqu’au dernier, les dépêches de la guerre affichées aux devantures des magasins, et ces massacres me hantaient au point que je ne parvenais plus à m’appliquer aux leçons. J’avais suivi toute l’affaire Tropmann dans les journaux collés au recto et au verso sur les murs à affiches d’Amsterdam ; j’ai lu ainsi des feuilletons entiers.

Mais mon impressionnabilité avait surtout été mûrie par la misère, qui nous obligeait à ruser pour avoir du crédit, qui nous faisait passer par toutes les transes du loyer qu’on ne pouvait payer, et la honte des créanciers qui venaient nous insulter et ameuter les voisins. Des infamies s’étaient incrustées dans ma mémoire, comme celle de l’usurière qui avait gardé l’argent épargné sur la faim de nos enfants et ne nous