Page:Doff - Jours de famine et de détresse, 1943.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

service, dit mon père. Quand on est bien nourrie, on doit supporter beaucoup. Nous chantions pour oublier la faim, et tu vois, la lampe va s’éteindre, faute d’huile.

— Je savais tout cela, et je suis revenue quand même. Les premiers jours, étant affamée, je torchais tous les plats avec ma langue, j’étais insatiable. Mais quoi ! je ne suis pas une mendiante : je ne veux donc pas être nourrie de leurs restes. Je les ai vus remettre des pommes de terre de leurs assiettes sur le plat : c’était pour nous, et ils nous donnaient des tartines dans lesquelles ils avaient mordu. Eh bien ! quand je travaille, je prétends ne pas être traitée ainsi.

« Je comprendrais qu’ils ne donnent pas de leur pain d’épice, ou de leur boudin de foie, et autres « délicatesses » qu’ils mangent devant vous sans jamais rien vous en passer. Soit ! mais je ne veux pas que mes tartines aient traîné sur leurs assiettes.

— Tu oubliais la faim que tu as eue ici.

— Non, père, seulement quand on travaille, ce n’est pas comme si on recevait une charité.

— Tu es ingrate, petite : tu mangeais le pain de tes maîtres et tu n’étais pas contente.

— Ah ! non ! Je mangeais le pain de mon travail, et non le leur. C’est comme la femme de