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Du vin à des pauvres !

Ce monsieur nous semblait dire des bêtises, tant chez nous, l’idée de vin se confondait avec l’idée de gens riches et de ripaille.

Il se rendit compte de notre ébahissement, nous embrassa d’un regard circulaire, haussa les épaules et sortit.

Nous considérions notre mère presque avec respect, d’avoir une maladie qu’une boisson aussi distinguée que le vin devait guérir. La viande, les œufs nous avaient moins frappés : nous voyions, autour de nous, des gens qui en prenaient le dimanche ; mais du vin !… jamais ! Cela nous effarait. Mon premier mouvement fut d’aller, la tête en feu, raconter la chose chez les voisins.

Quand mes parents voulaient causer, ils devaient attendre qu’ils fussent couchés, et les enfants endormis. Comme j’avais des insomnies, j’entendais souvent leurs réflexions et leurs propos : j’apprenais ainsi leurs projets et je partageais leurs inquiétudes.

Ce soir-là, quand la lumière fut éteinte et que mon père nous crut endormis, il appela doucement :

— Mina !

— Oui, père, répondit-elle.