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mes genoux à table, qu’en voyant le pain, elle me faisait ouvrir le tiroir ? Et comme elle savait bien choisir, parmi les couteaux, le couteau à pain qu’elle me tendait alors, triomphante ! Et quand, pour lui faire une niche, je lui présentais le sein au lieu d’une tartine, te souviens-tu de sa grimace, parce qu’il lui rappelait le goût de la moutarde que j’y avais mise pour la sevrer ?

Et ma mère riait en pleurant.

Puis elle allait prendre dans une petite boîte la mèche de cheveux blonds, auxquels adhéraient encore des lentes, et se plaçant sous la lucarne de notre mansarde, pour pouvoir en distinguer la couleur dorée, elle l’embrassait en sanglotant.

Enfin ma mère était devenue malade, et moins que jamais s’occupait de ses enfants vivants.

Le docteur des pauvres vint la voir. Il nous regarda tous en disant :

— Quels beaux échantillons d’enfants ! Mais vous êtes tous malades : la fièvre vous ronge. Quant à vous, petite femme, il est temps de vous soigner sérieusement. Je vais prescrire de la quinine, je vous permets d’en donner un peu à vos enfants. Puis vous… que faire ? Il faudrait des œufs, de la viande, du vin.

Au mot : vin, nous avions tous levé la tête, stupéfaits.