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préférait à tous, et me demanda si, moi aussi, je l’aimais un peu. J’avais la tête baissée et je tremblais ; je répondis que oui. Alors il m’aidait régulièrement à passer les ponts, et, quand la vente marchait, il achetait quelques friandises dont il me donnait la plus grosse part.

Un matin, Willem se trouvait parmi plusieurs colporteurs de l’impasse, arrêtés au Canal des Lys : c’étaient des grands, presque des hommes. J’arrivais sur la rive opposée et devais, pour les rejoindre, monter un pont très raide. Willem accourait à mon secours, mais les autres, se moquant de mes efforts, lui crièrent de ne pas m’aider. Il était déjà au milieu du pont quand, honteux de leurs quolibets, il rebroussa chemin. La tâche était excessive pour mes forces : comme j’avais pris le tournant trop court, si je reculais, je tombais dans le canal avec ma charrette ; je me raidis, je traversai le pont. Mais, au lieu d’aller vers les camarades, je continuai droit sur l’autre canal, et ne voulus plus jamais ni de l’aide, ni des friandises de Willem. Je l’avais trouvé lâche, et sans explications, c’était fini ; mais il était si enfant que son chagrin ne parut guère ; il n’était pas assez fin non plus pour comprendre : c’était un bon gros chien, avec un beau rire exubérant.