Page:Doff - Jours de famine et de détresse, 1943.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où les enfants pleuraient toujours de malaise et de faim. Là, il faisait tranquille et exquis : je pouvais m’isoler, et me raconter des histoires ou lire les « Mystères de Paris ».

J’étais Fleur-de-Marie, et quand Rodolphe me reconnaissait comme sa fille, je ne faisais que changer de robe pour être une princesse, en avoir les épaules, les mains blanches et le langage. J’aurais grasseyé : les riches grasseyent. Ce n’est pas moi qui aurais embêté mon prince de père pour rentrer à l’impasse, comme Fleur-de-Marie pour retourner à la Cité : non, je l’aurais supplié qu’il en retirât les miens. Être princesse sans Klaasje et Keesje, m’en enlevait tout le goût. Mère et Mina y retourneraient certainement, les jours où elles mettraient des robes neuves.

Dieu ! que la femme Segers va rager ! Elle se cachera en les voyant venir. Puis la propriétaire, qui n’a aucune pitié de nous maintenant que père est en prison, sera bien déconfite aussi quand on partira en lui payant l’arriéré, et en laissant tout dans la chambre. On lui dira : « Nous n’emportons pas ces guenilles, donnez-les aux pauvres. Nous sommes des Princes ».

Mes rêves ne me faisaient cependant pas oublier la réalité. Je ne vendais rien sur les