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Ma mère, qui s’était réchauffée, conta, à son tour, la campagne de son oncle Hannis en Espagne. L’oncle Hannis était un petit Liégeois, très pieux. Il avait avec beaucoup d’autres, dû partir pour ce pays. C’était très loin, et, à mesure que l’on marchait, la terre devenait si sèche et les gens si bruns qu’il se disait que certainement on le conduisait au bout du monde : et il avait raison, il a vu le bout du monde, confirmait ma mère. On leur tirait dessus de derrière les buissons ; les coups partaient des maisons, des toits, des arbres, mais on ne voyait personne. Alors, après une plaine jaune de sable brûlant, ils arrivèrent au bout du monde, là où le ciel vient rejoindre la terre en une eau bleue, bleue, comme on n’en avait jamais vu. Les camarades s’étaient baignés dans le ciel, mais lui s’était agenouillé ; par respect, il y avait seulement trempé les mains, et, de ses doigts mouillés, il avait fait le signe de la croix.

Pour ce qui était de rapporter du butin, l’oncle disait que c’était un pays de meurt-de-faim, où des femmes, noires comme des sorcières, chantaient et dansaient beaucoup, en poussant la croupe et en faisant claquer des petits morceaux de bois entre les doigts. Quant à boire et à manger comme dans notre pays, là-bas les gens