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31 MARS 1878.

avait causée deviendraient plus modérés sous le sentiment de la responsabilité. Il ne les croit pas disposés à la guerre. Lord Beaconsfield est vieux et désire terminer une vie tranquille ; mais il est orateur, a besoin d’obtenir des applaudissements et de conserver sa popularité. Il se laisse souvent entraîner à des écarts de langage qu’il regrette aussitôt.

Lord Salisbury a été longtemps turcophobe ; cela a été son sentiment dominant, tant que la Turquie a existé ; mais maintenant elle est morte et il pense aux intérêts anglais.

Il ne peut plus être question désormais du Congrès[1], mais la voie est ouverte pour des négociations directes. Au Congrès nous aurions été obligés de nous entendre avec l’Autriche, de défendre ses intérêts avec les nôtres. Aujourd’hui il y a facilité pour des négociations directes. Il y a deux articles de votre traité auxquels nous faisons objection, 1 ° votre influence exclusive à Constantinople et l’extension démesurée donnée à la nouvelle Bulgarie.

Sur le premier point, il y a moyen de s’entendre (il est évident que Lord Derby fait ici allusion à l’indemnité d’un milliard que la Russie peut réduire, mais cela n’est point précisé dans la dépêche). Lord Derby continue : « Quant au second point, j’ai toujours répugné à dépouiller une Puissance longtemps alliée, aujourd’hui abattue, mais j’ai raison de croire que mes anciens collègues ne seront pas si scrupuleux que moi. Si vous ne voulez réduire votre nouvelle Bulgarie, ils se contenteront d’une station maritime. »

Je suppose qu’il s’agit de Mytilène.

Le comte Schouvaloff est convenu avec moi que le point de vue de Lord Derby est beaucoup trop optimiste et que l’Angleterre ne se contentera pas de si peu. Je suis pour ma part convaincu que si elle ne se décide pas à faire la guerre pour rétablir un ordre de choses qui convenait à ses intérêts, mais qui ne se peut plus refaire, elle ne donnera pas sa sanction au traité de San Stéfano, même avec les modifications que l’opinion publique russe permettra à son Gouvernement d’y faire.

J’ai acquis la certitude qu’une autre mesure grave a été décidée en même temps que l’appel de la réserve ; mais je n’ai pu pénétrer le mystère et suis hors d’état de préciser ce qui en est.

Croyez-moi, je vous prie, tout à vous bien sincèrement.

d’Harcourt.

Le comte Schouvaloff a dit à Lord Derby qu’il n’engagerait pas son Gouvernement à faire des propositions directes avant d’avoir vu le nouveau ministre et y avoir été encouragé par lui.

  1. Sur l’échec du Congrès, voir t. II, 1re série, nos 275 et 277.