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DIZAINS RÉALISTES
I

Tandis que sur les quais flânent les paresseuses,
je regarde les lourds bateaux des blanchisseuses ;
il en sort des chansons, comme d’un nid d’oiseaux.
Les robustes bras blancs, en plongeant dans les eaux
que bleuit l’indigo, tordent le linge pâle,
et le ciel au-dessus prend des lueurs d’opale.
Moi, tout pensif, je rentre en murmurant tout bas :
Ma mère n’est plus là pour repriser mes bas
et mettre un chapelet d’iris dans mon armoire…
Les nuages sur l’eau font des dessins de moire.

Nina de Villard.



II

Il a tout fait, tous les métiers. Sa simple vie
se passe loin du bruit, loin des cris de l’envie
et des ambitions vaines du boulevard.
Pour ce jour attendu, qui s’annonce blafard,
les savants ont prédit, avant l’heure où se couche
le soleil, une éclipse. Et sa maîtresse accouche,
apportant un enfant parmi tant de soucis !
Il compte, pour dîner, sur ses verres noircis.
Carrières de Montmartre, en vos antres de gypse,
abritez le marchand de verres pour éclipse !

Charles Cros.