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et ce progrès nous sera refusé aussi longtemps que la démocratie française ne sera pas arrivée à démontrer, à démontrer jusqu’à l’évidence, que l’intérêt vital des classes supérieures, si l’on veut refaire la patrie, si on veut lui rendre sa grandeur, sa puissance et son génie, c’est précisément d’élever, d’émanciper au moral ce peuple de travailleurs qui tient en réserve une sève encore vierge et des trésors inépuisables d’activité et d’aptitudes. Il faut apprendre et enseigner aux paysans ce qu’ils doivent à la société et ce qu’ils peuvent exiger d’elle. (Applaudissements.)

Le jour où il sera bien entendu que nous n’avons pas d’œuvre plus grande et plus pressante à faire, que nous devons laisser de côté, ajourner toutes les autres réformes, que nous n’avons qu’une tâche, instruire le peuple, répandre l’éducation et la science à flots, ce jour, une grande étape sera marquée vers notre régénération ; mais il faut que notre action soit double, qu’elle porte sur le développement de l’esprit et du corps ; il faut, selon une exacte définition, que dans chaque homme elle nous donne une intelligence réellement servie par des organes. Je ne veux pas seulement que cet homme pense, lise et raisonne, je veux qu’il puisse agir et combattre. Il faut mettre partout, à côté de l’instituteur, le gymnaste et le militaire, afin que nos enfants, nos soldats, nos concitoyens, soient tous aptes à tenir une épée, à manier un fusil, à faire de longues marches, à passer les nuits à la belle étoile, à supporter vaillamment toutes les épreuves pour la patrie. (Mouvement.) Il faut pousser de front ces deux éducations, car autrement vous ferez une œuvre de lettrés, vous ne ferez pas une œuvre de patriotes.

Oui, messieurs, si l’on nous a devancés, oui, si nous avons subi cette suprême injure de voir la France de Kléber et de Hoche perdre ses deux plus patriotiques provinces, celles qui contenaient à la fois le plus d’esprit militaire, commercial, industriel, démocratique, nous ne devons en accuser que notre infériorité physique et morale. Aujourd’hui, l’intérêt de la pa-