Page:Discours de Garcin de Tassy, 1857.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.

On ne peut qu’approuver un tel vœu, surtout dans les circonstances actuelles, où l’Angleterre doit se faire accepter une seconde fois par les Indiens. La force seule des armes ne peut suffire pour gouverner une nation de mœurs et de langages si différents, il faut aussi chercher à gagner des sympathies, et on ne peut y parvenir qu’en se mettant en rapport avec le peuple vaincu. On l’a vu par l’exemple de Lutf ullah[1], qui, du moment qu’il put s’entretenir avec des Anglais, fut gagné à leur cause.

Mais si le gouvernement britannique ne fait pas assez pour l’étude des langues orientales, on ne saurait adresser aux Anglais eux-mêmes ce reproche. Sans parler des publications orientales si nombreuses en Angleterre, où trouve-t-on, si ce n’est dans ce triple royaume, une société spéciale pour la publication des textes orientaux et une autre pour leur traduction ? Et n’est-ce pas à Calcutta qu’on publie la Bibliotheca indica, c’est-à-dire la collection des ouvrages classiques sanscrits, persans, arabes, inédits jusqu’ici et dont nous possédons déjà cent trente-neuf fascicules ? De leur côté, les natifs n’ont pas cessé jusqu’au moment de l’insurrection de continuer à publier, comme les années précédentes, des ouvrages variés et des écrits périodiques. Quelques jours avant l’entrée des insurgés à Delhi, il venait d’y paraître une traduction hindoustanie de l’Ayin Akbarî, ouvrage capital rédigé par l’ordre du célèbre Akbar, et où se trouvent sur l’empire mogol les détails statistiques les plus exacts et les plus instructifs. L’édition hindoustanie a l’avantage d’être accompagnée de planches lithographiées avec soin d’après des dessins exécutés par les meilleurs artistes du pays et représentant les objets décrits dans l’ouvrage, tels que monnaies, armes, plantes, fruits, etc. ; cette traduction est due au même écrivain distingué qui nous a donné la « Description des monuments de Delhi » que j’ai mentionnée.

Maintenant la guerre a tout bouleversé dans l’Inde ; espérons néanmoins que les natifs pourront, aussitôt que le calme aura reparu, continuer à charmer leurs loisirs, comme avant la révolte, par la lecture de leurs grands poëtes modernes, qui ne sont pas à dédaigner, même après Valmiki et Vyaça, de Sauda surtout, leur poëte favori, et de Wali qui, le premier, leur a fait connaître

  1. Autobiography of Lutf ullah. Voir le Journal des Débats, numéro du 10 octobre 1857.