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un nouveau ragoût. Citons seulement quelques exemples. Voici la préposition avec, usitée là où le français emploie par, de, dans, envers, de même, sans, et l’on dit : je vais partir avec les chars ; que faire avec cela ? je suis quitte avec lui ; il est resté coi, et moi avec ; partir avec pas le sou. Il en est de même des suffixes que le langage populaire substitue à ceux du langage commun et qui peuvent ne pas donner une expression plus vive, mais qui le modifient et le rajeunissent. C’est ainsi que l’on peut comparer abatis et abatages, abordage et abordade, accablement et accablation, acharnement et acharnation, admissible et admettable. De même, les préfixes sont substitués à d’autres, ou ajoutés, ou supprimés. On peut comparer dans ce sens : aconnaître, au lieu de connaître ; alentir, au lieu de ralentir ; amonter, au lieu de monter ; amorphose, au lieu de métamorphose ; avention, au lieu de invention. La nuance est indéfinissable, mais elle est certaine ; au lieu de mots prévus d’avance et indifférents, on a l’avantage de la surprise.

Mais un procédé qui doit fixer particulièrement notre attention, est un emploi de ce que Ronsard et du Belley appelaient le provignement et qu’ils essayaient de mettre en honneur.

On sait qu’en français, tous les verbes ne font pas souche d’adjectifs et de substantifs correspondants, ni à son tour, le substantif, de verbes ; sauf le cas des parasynthétiques assez nombreux, il faut, si l’on veut mettre dans la forme substantive un mot d’action, souvent recourir de nouveau à la source latine, qui donne un vocable éloigné du premier ; par exemple, le verbe boire ne produit pas boivable, ni même buvable, mais potable. Est-ce bien logique que des sens analogues emploient des mots tout à fait différents ? Lors de la Renaissance, on avait pensé que non, et qu’il valait mieux recourir au vieux fonds français et le faire provigner, comme l’on fait de la vigne, c’est-à-dire lui faire pousser