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avalanche, on sent qu’elle se précipite de loin. Appuyer, c’est accoter. Même, lorsque le mot était déjà matériel, on l’abaisse encore pour avoir une image plus saisissante. S’accroupir devient s’accouver, tacher devient abîmer. C’est là sans doute, en tout pays, la source la plus abondante du parler populaire ; il en est de même au Canada, aussi insistons-nous sur ce point. L’idée intellectuelle se trouve partout immatérialisée, et si elle l’est déjà, elle descend encore. Dans tous les cas, c’est au moyen d’une image sensible que l’on s’exprime. Le glossaire de M. Dionne en fournit des exemples incessants. Citons encore les plus frappants. Crier fort, c’est beugler, de même que parler s’exprime par chanter. Une petite quantité, c’est un brin ; caduc signifie triste, et câiller c’est s’endormir ; en effet le sang alors se fige, pour ainsi dire, dans les veines. La bouche n’est plus qu’une boîte, le tableau qu’un cadre, et la montre qu’un cadran. Le bruit devient bien terrible, c’est un carnage. Un substantif, bœuf, se convertit en adjectif énergique, dans un effet bœuf. Outrager devient blasphémer, et être impatient, bouillir. La colère bleue est la plus terrible, plus, sans doute, que si elle n’était que rouge. Le diable apparaît bien plus réel, si on l’appelle bourreau. Conter des mensonges, c’est bourrer. Être insupportable devient visible par cette expression n’avoir pas de bout, de même que bête au bout, c’est être tout à fait bête. Quelquefois l’explication semble plus lointaine. Pourquoi une attaque de folie est-elle une branche de folie ? pourquoi fêter s’appelle-t-il brosser ? On comprend que s’approcher d’un objet qu’on cherche soit brûler, cela se dit aussi en France dans les petits jeux de salon. Le mobilier est bien un butin, surtout pour ceux qui ont économisé pour l’acheter pièce à pièce. Le casque signifie tête, toupet, l’image est bien naturelle. Le char semble très prétentieux, car le langage populaire n’élève pas ainsi les expressions, sans qu’il y ait