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Avant tout, tu dois croire que Dieu est un être immortel et souverainement heureux, comme le proclame du reste l’opinion vulgaire. Écarte de l’idée de Dieu tout ce qui ne s’accorde ni avec l’immortalité, ni avec la félicité parfaite, et rattaches-y au contraire tout ce qui est compatible avec ces attributs ; car il existe des dieux ; la notion claire et distincte que nous en avons le prouve assez ; mais ils ne sont point tels que le conçoit la multitude, car les hommages que leur adresse le vulgaire ne s’accordent point avec l’idée qu’il s’en fait. L’homme impie n’est pas celui qui rejette les dieux de la multitude, mais bien celui qui accepte sur les dieux les vaines opinions du vulgaire ; car les croyances de la foule ne sont pas des notions claires et distinctes ; ce ne sont que des suppositions sans fondement. Ils appliquent aux dieux leurs propres passions et les font à leur image ; c’est aux dieux qu’ils attribuent les biens et les maux qui arrivent aux bons et aux méchants ; en un mot, ils regardent comme incompatible avec la nature divine tout ce qui n’est pas conforme à l’humanité.

Fais-toi aussi une habitude de penser que la mort est pour nous chose indifférente ; car tout bien et tout mal consistent dans le sentiment ; et la mort est-elle autre chose que la privation du sentiment ? La ferme persuasion que la mort n’a rien qui nous concerne nous permet de jouir heureusement de cette vie mortelle. Si à cette conviction ne se joint pas l’espérance de l’immortalité, toujours est-il qu’elle nous empêche d’envisager la mort avec crainte et regret. En effet, la vie n’a plus de douleurs pour celui qui est véritablement persuadé que la mort n’est pas un mal. Il y a donc sottise à dire qu’on craint la mort, non point à cause des maux attachés à la mort elle-même, mais pour les soucis que cause son attente ; car on s’afflige à tort par la seule pensée d’une chose qui, en elle-même, n’est pas un mal. Ainsi, le plus poignant de tous les maux, la mort, n’est rien pour nous, puisque quand nous existons la mort n’est pas, et quand la mort est venue, nous ne sommes plus. La mort n’intéresse donc ni les vivants, ni ceux qui ont quitté la vie ; pour les premiers elle n’est pas, et les autres ne sont plus. Le vulgaire craint la mort, parce qu’il l’envisage tantôt comme le plus grand des maux, tantôt comme la privation des jouissances de la vie. Mais le sage ne craint pas de ne plus vivre ; car il sait qu’il n’est point dans sa nature d’exister toujours, et d’un autre côté il ne regarde pas comme un mal de ne plus vivre. De même qu’on ne choisit pas la nourriture la plus abon-