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imposé sur cette matière, par l’interprétation maligne qu’ils ont donnée à notre opinion.

[132] « Cette volupté, qui est le centre de notre bonheur, n’est autre chose que d’avoir l’esprit sans aucune agitation, et que le corps soit exempt de douleur ; l’ivrognerie, l’excès des viandes, le commerce criminel des femmes, la délicatesse des boissons et tout ce qui assaisonne les bonnes tables, n’ont rien qui conduise à une agréable vie : il n’y a que la frugalité et la tranquillité de l’esprit qui puissent faire cet effet heureux ; c’est ce calme qui nous facilite l’éclaircissement des choses qui doivent fixer notre choix, ou de celles que nous devons fuir ; et c’est par lui qu’on se défait des opinions qui troublent la disposition de ce mobile de notre vie.

« Le principe de toutes ces choses ne se trouve que dans la prudence qui, par conséquent, est un bien très excellent ; aussi mérite-t-elle sur la philosophie l’honneur de la préférence, parce qu’elle est sa règle dans la conduite de ses recherches ; qu’elle fait voir l’utilité qu’il y a de sortir de cette ignorance qui fait toutes nos alarmes ; et que d’ailleurs elle est la source de toutes les vertus qui nous enseignent que la vie est sans agrément, si la prudence, l’honnêteté et la justice ne dirigent tous ses mouvements, et que, suivant toujours la route que ces choses nous tracent, nos jours s’écoulent avec cette satisfaction, dont le bonheur est inséparable : car ses vertus sont le propre d’une vie pleine de félicité et d’agrément, qui ne peut jamais être sans leur excellente pratique.

[133] « Cela supposé, quel est l’homme que vous pourriez préférer à celui qui pense des dieux tout ce qui est conforme à la grandeur de leur être, qui voit insensiblement avec intrépidité l’approche de la mort, qui raisonne avec tant de justesse sur la fin où nous devons tendre naturellement, et sur l’existence du souverain bien, dont il croit la possession facile et capable de nous remplir entièrement ; qui s’est imprimé dans l’esprit que tout ce qu’on trouve dans les maux doit finir bientôt, si la douleur est violente, ou que si elle languit par le temps, on s’en fait une habitude qui la rend supportable ; et qui, enfin, se peut convaincre lui-même que la nécessité du destin, ainsi que l’ont cru quelques philosophes, n’a point un empire absolu sur nous, ou que tout au moins elle n’est pas tout à fait la maîtresse des choses qui relèvent en partie du caprice de la fortune, et qui en partie sont dépendantes de notre volonté, parce que cette même nécessité est cruelle et sans remède, et que l’inconstance de la fortune