Page:Diogène Laërce - Vies, édition Lefèvre,1840.djvu/292

Cette page n’a pas encore été corrigée
276
ZÉNON.


On servit un gros poisson ; il le tira vers lui comme s’il avait voulu le manger seul ; et l’autre l’ayant regardé, il lui dit : « Si vous ne pouvez un seul jour souffrir ma gourmandise, combien pensez-vous que la vôtre doive journellement déplaire à vos camarades ? » Un jeune garçon faisait des questions plus curieuses que ne comportait son âge. Il le mena vis-à-vis d’un miroir : « Voyez, lui dit-il, regardez-vous, et jugez si vos questions sont assorties à votre jeunesse. » Quelqu’un trouvait à redire à plusieurs pensées d’Antisthène. Zénon lui présenta un discours de Sophocle, et lui demanda s’il ne croyait pas qu’il contînt de belles et bonnes choses. L’autre répondit qu’il n’en savait rien. « N’avez-vous donc pas honte, reprit Zénon, de vous souvenir de ce qu’Antisthène peut avoir mal dit, et de négliger d’apprendre ce qu’on a dit de bon ? » Un autre se plaignait de la brièveté des discours des philosophes. « Vous avez raison, lui dit Zénon ; il faudrait même, s’il était possible, qu’ils abrégeassent jusqu’à leurs syllabes. » Un troisième blâmait Polémon de ce qu’il avait coutume de prendre une matière et d’en traiter une autre. À ce reproche il fronça le sourcil, et lui fit cette réponse : Il paraît que vous faisiez grand cas de ce qu’on vous donnait^^1. Il disait que celui qui dispute de quelque chose doit ressembler aux comédiens, avoir la voix bonne et la poitrine forte, mais ne pas trop ouvrir la bouche ; coutume ordinaire des grands parleurs, qui ne débitent que des fadaises. Il ajoutait que ceux qui parlent bien avaient à imiter les bons artisans, qui ne changent point de lieu pour se donner en spectacle, et que ceux qui les écoutent doivent être si attentifs, qu’ils n’aient pas le temps de faire des remarques. Un jeune homme parlant beaucoup en sa présence, il l’interrompit par ces paroles : Mes oreilles se sont fondues dans ta langue^^2. Il répondit

1. Allusion à ce que Polémon enseignait pour rien. Fougerolles.

2. C’est-à-dire qu’il devrait écouter autant qu’il parlait.