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HIPPARCHIE.

elle, il se leva, lui montra le peu qu’il possédait, et lui dit : « Voilà l’époux que vous souhaitez, voilà tous ses biens. Consultez-vous là-dessus ; vous ne pouvez m’épouser, à moins que vous ne preniez la résolution de vous associer à mes études. » Elle accepta le parti, s’habilla comme le philosophe, et le suivit partout, lui permettant d’en agir publiquement avec elle comme mari, et allant avec lui mendier des repas. Quelque jour Lysimaque en donnait un ; elle s’y trouva et y disputa contre Théodore, surnommé l’Athée, en lui opposant le sophisme suivant : « Tout ce que Théodore peut faire sans s’attirer de reproche, Hipparchie le peut aussi, sans mériter qu’on la blâme. Or, si Théodore se frappe lui-même, il ne fera injustice à personne ; ainsi, si Hipparchie frappe Théodore, elle n’en commettra envers qui que ce soit. » Théodore ne répondit rien à ce raisonnement ; il se contenta de tirer Hipparchie par la juppe. Cette action ne l’émut ni ne la déconcerta ; et sur ce qu’il lui adressa ensuite ces paroles : Qui est cette femme qui a laissé sa navette auprès de sa toile[1] ? elle répondit : C’est moi, Théodore ; mais trouvez-vous que j’aie pris un mauvais parti, d’employer à m’instruire le temps que j’aurais perdu à faire de la toile ? On conte d’elle plusieurs autres traits de cette nature.

Il y a un livre de Cratès qui porte le titre de Lettres, et qui contient une excellente philosophie, dont le style approche beaucoup de celui de Platon. Il composa aussi des tragédies qui renferment des traits de la plus sublime philosophie, tels que ceux-ci : « Je n’ai dans ma patrie ni tour ni toit qui m’appartienne ; mais toutes les villes et les maisons de la terre sont les lieux où je puis habiter. »

Il mourut fort vieux, et fut enterré en Béotie.


  1. Vers d’Euripide.