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iv
DISCOURS.

nage le prix de leurs incrédulité. Ils étaient retenus dans leurs devoirs par deux ancres, la vertu et la société. Moins ils avaient à espérer pour une autre vie, plus ils devaient travailler à se rendre heureux dans celle-ci. Or, pour y parvenir, il fallait qu’ils cultivassent la société et qu’ils fussent vertueux. Pouvaient-ils se flatter qu’en violant toutes les conventions de la société civile, et qu’en brisant sans scrupule tous les liens humains, ils pourraient être heureux ? non, sans doute. Leur propre intérêt les portait donc à se pénétrer d’amour pour la société, d’autant plus que ne tenant point par leurs idées à une autre vie, ils devaient regarder la société comme leur unique dieu, se dévouer entièrement à elle, et lui rendre leurs hommages. D’un autre côté, la vertu a des avantages qui lui sont propres, indépendamment de l’existence des dieux et d’une vie à venir. Ce principe, une fois bien médité par les philosophes, faisait qu’ils disposaient tous leurs ressorts à ne produire que des effets conformes à l’idée de l’honnête homme. Ils connaissaient trop ce que peut la fougue des passions, pour ne pas s’exercer de bonne heure à leur tenir la bride ferme, et à les façonner insensiblement au joug de la raison. Soit donc qu’ils représentassent aux yeux des autres hommes, ou qu’ils n’eussent qu’eux-mêmes pour témoins de leurs actions, ils suivaient scrupuleusement les grands principes de la probité. Pétris, pour ainsi dire, avec le levain de l’ordre et de la règle, le crime aurait trouvé en eux trop d’opposition pour qu’ils eussent pu s’y livrer ; ils auraient eu à détruire trop d’idées naturelles et acquises, avant de commettre une action qui leur fût contraire. Leur faculté d’agir était, pour ainsi dire, comme une corde d’instrument de