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PRÉFACE.

pèces de solanum, voilà les véritables secrets des Médées de l’antiquité et du moyen âge. Il y a surtout deux effets singuliers que ces matières ne manquent presque jamais de produire : une aberration de la vision et une grande somnolence. C’est précisément aussi ce qu’on remarque chez Pélias succombant sous la puissance de Médée : « D’abord il vit des figures de dragons, et plus tard il tomba dans un profond assoupissement. » (Liv. IV, chap. 51.)

Ceux qui s’empoisonnent avec des plantes de la famille des solanées sont atteints d’un délire pendant lequel ils voient les images les plus étranges, et se croient transportés dans une autre sphère. À cette hallucination, dont la durée varie, succède un sommeil tourmenté par des rêves affreux. On trouve consignés dans les annales de la science mille exemples de ce genre d’empoisonnement. Un de ces exemples les plus frappants a été rapporté par un témoin oculaire, M. Gauthier de Claubry. En 1813, toute une compagnie de soldats français, fatigués par une longue journée de marche, mangea, dans un bois des environs de Dresde, des fruits de belladone, que la plupart avaient pris pour des cerises d’une nouvelle espèce. Peu de moments après, ces malheureux offrirent le spectacle le plus singulier. Les uns commandaient la charge, prenant leurs camarades pour des Cosaques ; les autres brûlaient leurs doigts dans le feu du bivac, s’imaginant allumer leurs pipes ; tous étaient atteints des aberrations les plus bizarres de la vision.

Si ces soldats de Napoléon ont pris leurs doigts pour des pipes, pourquoi les compagnons d’Ulysse ne se seraient-ils pas crus transformés en pourceaux ? Circé, qui avait opéré ce