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Planche II.

Vuë des restes d’une grande enceinte de colonnes, formant un quadrilatere, et surmontées d’un architrave qui regne tout au tour, avec d’autres morceaux, qui formoient une partie de la frise A. La pierre dont cet édifice étoit bâti reſsemble au travertino, et elle étoit enduite d’un plâtre tres fin, pour en mieux couvrir les deffauts, et les inégalités. Le diametre des colonnes, est à peu prés de la grandeur d’un homme ordinaire. Sur la frise, il n’y a pas de trigliphes, mais les stries, et l’entasis, ou renflement des colonnes, avec la varieté et la fineſse des moulures qui décorent les chapitaux, la proportion des hauteurs, et des Saillies, semblent donner a cette architecture un caractere, qui s’approche de l’ordre Dorique. Les trois divers socles B régnent tout au tour de l’enceinte. Ce n’a point été pour servir de montée, qu’on les a placés ici, mais pour donner plus de liaison, et plus de maiesté aux colonnes, et en même temps pourque cet édifice, qui étoit public, fut distingué des édifices particuliers. Quoique sa montée C soit ruinée, il est pourtant resté des morceaux qui indiquent le lieu où posoient ses dégrés, comme en pareil cas cela se voit aussi à Pompeia dans les restes d’un ancien temple d’ordre Dorique. L’on ne sait pas à quel usage ce magnifique édifice étoit destiné, les indications, que nous venons de rapporter, ne sont pas suffisantes pour nous éclaircir sur ce point, parce qu’elles appartiennent plustôt aux connoiſsances de l’art. S’il éxistoit encore quelque partie du comble, ou de la charpente, les idées, que cela nous donneroit de sa forme, pourroient nous aider à former des conjectures sur son usage. L’on verra par aprés les parties interieures de cet édifice deſsinées plus en grand. Cependant on est surpris du nombre impair des neuf colonnes qui sont de front ; mais en observant l’interieur de l’édifice divisé en deux parties, et que les trois colonnes restées en pied, repondent directement à celle du milieu des deux Pronaos, et à celle du milieu des deux façades, qui y est située au lieu de l’entrecolonnement. Il paroit evident qu’un tel nombre impair de colonnes dans un édifice public auſsi somptueux, n’étoit pas un deffaut, mais une disposition néceſsaire. Il ne nous reste plus aucun model de pareils édifices, même dans les ruines de la Grece, ou de l’Italie. Vitruve dans son traité d’architecture, en parlant des ouvrages publics, comme Basiliques, Curies, et Temples, dans la disposition des Colonnes sur le front de ces édifices, n’a jamais proposé de nombre impair. Il est bien vrai cependant que pour les côtés l’on a employé aſsez indiferemment les colonnes en nombre pair et en nombre impair. Il faut donc chercher quelqu’autre denomination que celle que nous donne Vitruve. Quelqu’un dira le Pronaos interieur est construit selon que cela se pratiquoit pour les temples ; mais les Pronaos des temples avoient la porte dans le milieu qui conduisoit dans la cella, et non pas une Colonne au lieu de porte. Nous ne sommes pas aſsez instruits des Rites, et des usages de ce temps là, pour juger si cet édifice devoit avoir la disposition d’un Gimnase, ou bien d’un Collége, où se raſsembloient les Magistrats a l’imitation de ceux des Anfictions. Enfin, ceux qui iront visiter Pompeia trouveront qu’on y a decouvert des écoles en forme de demi-cercle, où les Décurions se raſsembloient, ce qu’on n’auroit jamais deviné sans les inscriptions qu’on y a trouvé. Avant cette decouverte nous ignorions leur forme, leur situation, et leur grandeur. La même chose est arrivée au sujet de l’édifice dont nous parlons, et faute de memoires nous ne pouvons determiner exactement ni sa forme, ni a quel usage il étoit destiné.

Cav. Piranesi F.