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Planche X.

Vüe du temple de Neptune Dieu tutelaire de l’ancienne Ville de Pesto, quoi qu’on n’y voye aucune marque qui puiſse indiquer si ce temple appartenoit à cette Divinité, ou à quelqu’autre. Il est situé dans le milieu de la Ville, et il est surprenant par sa magnificence, et sa grandeur. Il est bâti de groſses pierres semblables au Travertino, mais à cause de quelques deffauts il a été enduit d’un plâtre fin, tres blanc. La largeur des entrecollonements, est d’environ un diametre, et un quart des colonnes A proportion, qui par une judicieuse simetterie donnoit aux colonnes le plus grand air de dignité, et une gravité qui s’accordoit bien avec la masse du couronnement B, qu’elles devoient porter, et particulierement avec les groſseurs des Architraves C. L’Architecte a situé les trigliphes sur les Angles D selon la coûtume des Grecs, et pour cacher la monstruosité qu’auroit pu produire l’inégalité des métopes, placées alternativement, il a rétréci les entrecolonnements E, un peu plus que les autres A et il a élargi les metopes F plus que celles G qui en sont proches il a auſsi laiſsé les trigliphes tous d’une égale largeur, en sorte que celui qui considere ces deux alterations n’en est nullement choqué. La gravité de cet ouvrage se fait sentir par la legereté des membres plus ou moins saillants, et les colliers des colonnes ne sont énoncés que par de simples lignes comme en H, et les trois autres colliers I qui sont de relief sont formés par les plus belles moulures et travailles avec le plus grand soin pour les mieux conserver dans cette pierre. Ainsi l’on peut connoitre que dans cet ouvrage, les Tailleurs de pierre ne l’ont pas cedé à ceux qui travailloient les marbres de Paros et de Carrare. L’exactitude des proportions caracterise ce batiment pour une production des plus parfaites, et des mieux éxécutées dans ce genre, et l’on peut dire que l’Architecte a tiré de son art de quoi s’attirer l’admiration de ses contemporains comme de la posterité. L’interieur de ce temple n’est pas moins beau que grandieux. L’homme de goût contemple avec plaisir l’ensemble de cet édifice, lors qu’aprés les moiſsons, il se trouve débaraſsé des herbages qui l’offusquoient. Les Peintres y trouveront également differents points de vüe fort intereſsants, soit par ses differentes ouvertures, soit par la varieté des plantes champetres, qui l’environnent de toutes parts ; ou bien par celle de plusieurs troupeaux de diverses couleurs, que les Bergers y conduisent. Neanmoins cette architecture grave n’est pas aujourd’huy intelligible pour tous ceux qui se transportent là, et qui aimeroient mieux y trouver d’autres ordres plus gracieux, comme l’Ionique, le Corinthien et le Composite, qui plaisent davantage aux yeux ; et en effet les anciens Romains lors qu’ils donnerent dans le luxe, rechercherent l’architecture fardée, et la mirent plus en usage que les autres nations, comme plus propre à employer leurs richeſses et à surpaſser la matiere par le travail. Les Grecs mêmes voulant adoucir l’ordre Dorique, le chargerent de quelques ornemens, ce qui fut imité par les Romains au point qu’ils rencherirent encore sur leurs models ; car ceux qui n’ont la vraie théorie de l’art preférent toujours une architecture chargée de guirlandes, de fleurs et d’autres ornements à celle qui n’a qu’une simple pureté. Ce temple là ne présente aucune bisarerie dans ses ornements. Dans l’autre édifice indiqué sur la planche precedente nous avons dit que les ornements des chapitaux étoient élégans, nous voyons par là que ceux qui les faisoient n’ignoroient pas que la bisarerie d’un tel aſsortiment étoit deja bien connue ; mais ils ont sçu le ménager, comme on fit à l’égard des chapiteaux des colonnes, et des pilastres du Collége des Anfictions. Pour ce qui est de ce temple, soit que ce fut la coûtume de la nation, qui tendoit au grave, et au simple, soit que ce fut sageſse dans l’Architecte, il est clair que cette entreprise fut conduite, et terminée avec dignité par la supreſsion de la plus grande partie des ornements, pour le rendre solide, et grave. En cela l’on a voulu faire voir, que ces sortes de monuments étant construits d’une matiere dure, il étoit dans les vrais principes de l’art de n’en point trop alterer la nature, et qu’un édifice tout de pierre devoit conserver un grand air de force, et de solidité. K Restes de Travertins, qui servoient de base aux dégrés, par les quels on montoit au temple a peu prés comme on le voit encore aujord’hui dans un temple d’ordre Dorique entre les ruines de Pompeia. L Restes de l’édifice, que nous appellons le Collége des Anfictions. M Vue de la Mer

Cav. Piranesi F.