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que les deux baies se faisant vis-à -vis ne sont point placées dans le prolongement de l’axe du naos et que l’édicule n’occupe pas le centre de l’espace limité par la colonnade.

Je gravis les degrés du gabre, je pousse une porte de bois et j’entre dans une pièce fort petite. Une des faces est ornée d’un mihrab sculpté à une époque relativement récente ; les autres parois sont unies et laissent apprécier la grosseur des matériaux. Des cordes accrochées a des chevilles de bois enfoncées dans les joints des blocs soutiennent des lampes de métal et des chiffons de toutes les couleurs déposés là en guise d’ex-voto.

2 octobre. — Me suffirait-il d’atteindre ces monuments, vers lesquels nous nous dirigeons avec tant de peine depuis neuf mois, pour tomber malade ? Hier j’ai d’abord aidé Marcel à prendre toutes les dimensions du gabre, puis j’ai écrit quelques notes et monté mon appareil photographique ; mais à ce moment j’ai été saisie par des frissons si violents, malgré les rayons bridants du soleil, que j’ai du recommencer quatre épreuves avant de parvenir à découvrir l’objectif sans le déplacer. Marcel est venu à mon secours, et, tant bien que mal, l’opération s’est terminée. Alors je me suis étendue sur les dalles fraîches de la chambre sépulcrale et j’ai été prise d’un violent accès de fièvre. Des femmes, il m’en souvient cependant, ont essayé de m’expulser, sous prétexte que les hommes ne doivent pas entrer dans le Tombeau de la Mère de Salomon. Elles auraient bien pu me prendre par la tête et les pieds et me jeter dehors, j’aurais été dans l’impossibilité d’opposer la moindre résistance ; tout à coup, mais sans qu’il m’eût été possible de saisir le motif de leur retraite, elles se sont éloignées en criant comme des oies effarouchées. Vers la nuit, quand je me suis trouvée mieux, on m’a remise à cheval et nous sommes rentrés à Dell Nô.

L’accès d’hier a été long et douloureux, mais il me laisse au moins l’esprit tranquille. L’extrême fatigue qui m’accable depuis quelques jours, les hallucinations nocturnes auxquelles je suis sujette m’inquiétaient au point de me faire craindre de rester en chemin. Maintenant je suis rassurée : j’ai la fièvre intermittente avec son cortège de douleurs articulaires, de frissons, de délire ; je connais l’ennemi, il n’ y a plus qu’à tacher de se défendre. Il me faudra prendre part au festin de quinine que Marcel s’offre toutes les semaines depuis sa maladie de Téhéran, régal auquel il est sans doute redevable de traverser impunément la plaine du Polvar.

Aujourd’hui je n’aurai pas d’accès : il s’agit de profiter de ce répit pour terminer le lever du gabre et nous lancer dans les fameux défilés que nous devions visiter hier.

«  Que penses-tu de ce tombeau ? dis-je à Marcel quand nous repassons devant le gabre et que je puis suivre avec intérêt toutes ses démonstrations.

— Ce petit édicule n’a jamais abrité la dépouille mortelle de Cyrus, j’en ai la conviction.

«  Il n’y a aucune analogie entre ce monument et le tombeau de Cyrus, dont Arrien et Strabon ont emprunté la description à Aristobule, qui le visita et le fit réparer sur l’ordre d’Alexandre.

«  Le tombeau du fondateur de la monarchie perse s’élevait au milieu des jardins du roi ; il était entouré d’arbres, d’eaux vives et d’épais gazons. C’était une tour carrée, assez peu haute pour rester cachée sous les ombrages qui l’environnaient. A la partie supérieure se trouvait la chambre sépulcrale, couverte d’une toiture en pierre. On y pénétrait par une porte fort étroite. Aristobule y vit un lit d’or, une table avec des coupes à libations, une auge dorée propre à se laver ou à se baigner, et une quantité de vêtements et de bijoux. Au moyen d’un escalier intérieur on communiquait avec la chambre où se tenaient les prêtres préposés à la garde du monument funéraire.

«  Sur la façade du tombeau était gravé en langue et caractères perses : « 0 homme, je suis Cyrus, fils de Cambyse. J’ai fondé l’empire des Perses et commandé à l’Asie. Ne « m’envie pas cette sépulture. »