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Le chahzaddè revint donc piteusement à Téhéran et obtint la permission de se fixer à Constantinople. Plus tard il se rendit à Bagdad.

Le gouverneur se lève en nous apercevant, tend la main à Marcel et nous invite a nous asseoir sur les fauteuils du télégraphe installés au milieu de la pièce. On apporte le café dans des tasses minuscules soutenues par des supports de filigrane d’argent merveilleusement travaillés ; le prince, prenant ensuite la parole en français, s’excuse d’abord de l’imperfection avec laquelle il parle une langue qu’il a oubliée (simple formule de politesse, car le frère du roi s’exprime très purement), s’informe du motif de notre visite et nous demande s’il peut nous être utile pendant notre séjour à Kazbin.

« Les mollahs, dit Marcel, font quelques difficultés à laisser visiter aux chrétiens les mosquées de la ville, et dans l’intérêt de mes études je viens prier Votre Altesse de me faciliter l’accès de ces monuments aux heures où ils sont déserts.

— Il n’est pas en mon pouvoir de vous donner une réponse favorable ; je suis, quant à moi, un homme civilisé, je ne fais même pas ma prière, et, depuis trois mois que je suis arrivé à Kazbin, je n’ai pas encore mis le pied dans une mosquée. Il me serait donc parfaitement indifférent de vous autoriser à entrer dans la masdjed Chah, mais l’imam djouma [1] est très rigide ; en définitive je crois que vous feriez bien de renoncer à votre projet. »

Après un assez long entretien sur le nihilisme, les épreuves des francs-maçons, les tables tournantes, nous prenons congé de Son Altesse, qui vient de bailler deux ou trois fois (ceci, en Perse, n’est point une impolitesse) d’une façon des plus contagieuses, et nous sortons du palais, très ennuyés de l’insuccès de notre demande.


le Ghazaddé, gouverneur de Kazbin


Le prince se vante de son irréligion, mais, comme tous les Iraniens, il est néanmoins très enclin à admettre la puissance des sortilèges, des devins et du mauvais œil, et à attribuer à la magie tous les faits qu’il ne s’explique pas.

La science illusoire de l’astrologie, aujourd’hui bannie du monde occidental, s’est réfugiée en Asie. Pour calculer une nativité ou tirer un horoscope, on regarde comme essentiel de faire de longues observations astronomiques, et les devins — c’est leur seule excuse emploient à cet usage des instruments ayant quelquefois la plus grande valeur artistique. Le chah lui-même a ses sorciers officiels ; ils assisteraient certainement à la naissance des enfants royaux, comme l’astrologue caché dans la chambre de la reine Anne a la naissance de Louis XI, si l’andéroun royal était accessible aux simples mortels.

D’ailleurs la superstition n’est pas l’apanage des classes riches, elle règne en souveraine

  1. Chef religieux de la masdjed Chah ou mosquée Royale.