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C’est tout : sous mon linceul voilà ce que je sais.
Et l’infini m’écrase, et j’ai beau dire : assez !
C’est horrible. Toujours cette vision morne !
Jamais le fond, jamais la fin, jamais la borne !.
Donc je te le redis, puisque tu passes là :
J’entends crier en bas, Jéhovah, Christ, Allah !
Tout n’est qu’un sombre amas d’apparitions folles ;
Rien n’existe ; et comment exprimer en paroles
La stupéfaction immense de la nuit ?
L’invisible s’efface et l’impalpable fuit ;
L’ombre dort ; les, foetus se mêlent aux décombres ;
Les formes, aspects vains, se perdent dans les nombres ;
Rien n’a de sens ; et tout, l’objet, l’espoir, l’effort,
Tout est insensé, vide et faux, même la mort ;
L’infini sombre au fond du tombeau déraisonne ;
La bière est un grelot où le cadavre sonne ;
Si quelque chose vit, ce n’est pas encor né.
Muet, quoique béant, sourd, lugubre, étonné,
Les ténèbres en lui, hors de lui les ténèbres,
Sans qu’un rayon, éclos dans ces brumes funèbres,
Vienne jamais blanchir l’horizon infini,
Pas même criminel, et pas même puni,
Le monde erre au hasard dans la nuit éternelle,
Et, n’ayant pas d’aurore, il n’a pas de prunelle.
Le monde est à tâtons dans son propre néant.