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Prends-tu pour des pantins et pour des jacquemards Orion, Sirius, Vesta, Saturne et Mars ? Et la création est-elle une fontaine À mécanique ainsi que la Samaritaine ? As-tu donc peur de voir le monde aller tout seul ? Faut-il que la forêt dise : — Père, un tilleul ! Un chêne ! des sapins ! donnez-moi de la mousse Pour que le bruit du vent dans mes antres s’émousse ! Quoi ! cet échange vaste et saint d’attraction, Ce flux et ce reflux de la création Qui jette dehors l’être et sans fin le résorbe, L’univers, ne peut-il rouler, cercle, flamme, orbe, Sans que ta terreur crie :nous fait des étais ! Sans que l’homme, appelant à l’aide Teutatès, Irmensul, Bhagavan, Chronos, Théos, échine Un travailleur divin à tourner la machine ? Fais ce rêve, homme ! et marche où L’erreur te conduit. Quant à moi ; qui suis l’ombre et qui vais dans la nuit, Je n’accepterais pas, pour faire des prodiges, Pour creuser un puits sombre et l’emplir de vertiges, Pour soulever un monde, effroyable fardeau, L’échange de ton Dieu contre ma goutte d’eau.

— Oui, mais la goutte d’eau, criai-je, qui l’a faite ?

XIII. Une autre voix


Swedenborg  prit un jour la coupe de Platon,
Et, pensif, s’en alla boire à l’azur terrible.
Il entra sous le porche obscur de l’invisible
Et disparut. Où donc alla-t-il ? Qui le sait ?
Peut-être aux lieux sacrés où Socrate pensait,
Où, dans l’ombre, effleuré de l’urne des Homères,
Le vin de l’idéal sort du puits des chimères.

Peut-être égara-t-il ses pas plus haut encor ;
Jusqu’au gouffre inconnu, jusqu’aux pléiades d’or,
Jusqu’au ruissellement des fontaines d’aurore,
Jusqu’à l’ombre où l’on voit l’inexprimable éclore ;
Là sont les cuves : sève, esprit, immensité ;
Là vit, abonde et croît la vigne de clarté
Où l’on ne trouve pas un seul astre qui dorme,
Où les créations font leur vendange énorme ;
Où la grappe de vie à flots ruisselle, ayant
La pierre du tombeau pour pressoir effrayant ;
Là sont les infinis, la cause, le principe,
L’être qui s’évapore en mondes, se dissipe
En astres, et s’épanche en ciel démesuré :
Il revint éperdu, chancelant, effaré,
Ployant sous la lueur farouche des étoiles ;
Voyant l’homme à travers des épaisseurs de voiles
Et de tremblants rideaux de lumière où, sans fin
Multipliés ; flottaient l’ange et le séraphin ;
Ayant dans son cerveau l’ombre et tous ses délires,
De ses doigts écartés Cherchant de vagues lyres,
Nu, bégayant l’abîme et balbutiant

no match

Dieu ; Rapportant cette joie étrange du ciel bleu Qui fait peur à la vie et trouble les fils d’Ève, Et laissant voir, ainsi que le monde du rêve, Dans de blêmes rayons tombés on ne sait d’où, Un paradis sinistre au fond de son œil fou. La raison l’attendait, grave, et lui dit : Ivrogne ! Esprit, fais ton sillon, homme, fais ta besogne. Ne va pas au delà. Cherche Dieu. Mais tiens-toi, Pour le voir, dans l’amour et non pas dans l’effroi. </poem>