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ASCENSION DANS LES TÉNÈBRES.

Et Job qui parle au ver, Dan qui parle au lion,
Amos, et Jean troublé par les apocalypses,
Ont dit : On ne le voit qu’à travers les éclipses.
— L’être est le premier texte et l’homme est le second ;
Lisible dans la fleur et dans l’arbre fécond
Et dans le calme éther des cieux que rien n’irrite,
La nature est dans l’homme obscure et mal transcrite, —
Voilà ce qu’Alchindé l’arabe a proclamé.
Cardan a dit : Ce monde est un cercueil fermé I
Philotadès a dit : Miracle, autel, croyance,
Dogme, religion, fondent sous la science ;
Dieu sous l’esprit humain, tas de neige au dégel ! —
Et Kant au vaste front, Montaigne, Fichte, Hegel,
Se sont penchés, pendant que le grand rieur maître,
Rabelais, chuchotait sur l’abîme : Peut-être.
Diogène a crié : — Des flambeaux ! des flambeaux !
Shakspeare a murmuré, courbé sur les tombeaux :
— Fossoyeur, combien Dieu pèse-t-il dans ta pelle ?
Et Jean-Paul a repris : — Ce qu’ainsi l’homme appelle,
C’est la vague lueur qui tremble sur le sort ;
C’est la phosphorescence impalpable qui sort
De l’incommensurable et lugubre matière ;
Dieu, c’est le feu follet du monde cimetière. —
Dante a levé les bras en s’écriant : Pourquoi ?
— Ô nuit, j’attends que Pan s’affirme et dise : Moi.
Quel est le sens des mots : foi, conscience humaine.
Raison, devoir ? a dit le pâle Anaximène.
Locke a dit : — On voit mal avec ces appareils.
Reuchlin a demandé : — Qu’est-ce que les soleils ?
Sont-ce des piloris ou des apothéoses ? —
Lucrèce a dit : — Quelle est la nature des choses ?
Il a dit : Tout est sourd, faux, muet, décevant.