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L’ESPRIT HUMAIN.

Et croître et frissonner et fuir et s’effacer
Ces cryptes du vertige et ces villes du rêve,
Rome, sur ses frontons changeant en croix son glaive,
Thèbes, Jérusalem, Mecque, Médine, Hébron ;
Des figures tenant à la main un clairon,
Et des arbres hagards, des cavernes, des baumes
Où priaient, barbe au vent, de ténébreux Jérômes,
Et, parmi des babels, des tours, des temples grecs,
D’horribles fronts d’écueils aux cheveux de varechs ;
Et tout cela, Ninive, Éphèse, Delphe, Abdère,
Tombeau de saint Grégoire où veille un lampadaire,
Marches de Bénarès, pagodes de Ceylan,
Monts d’où l’aigle de mer le soir prend son élan,
Minarets, parthénons, wigwams, temple d’Aglaure
Où l’on voit l’aube, fleur vertigineuse, éclore,
Et grotte de Calvin, et chambre de Luther,
Passages d’anges bleus dans le liquide éther,
Trépieds où flamboyaient des âmes, yeux de braise
De la chienne Scylla sur la mer calabraise,
Dodone, Horeb, rochers effarés, bois troublants,
Couvent d’Eschmiadzin aux quatre clochers blancs,
Noir cromlech de Bretagne, affreux cruack d’Irlande,
Pæstum où les rosiers suspendent leur guirlande,
Temples des fils de Cham, temples des fils de Seth,
Tout lentement flottait et s’évanouissait
Dans une sorte d’âpre et vague perspective ;
Et ce n’était, devant ma prunelle attentive,
Que de la vision qui ne fait pas de bruit
Et de la forme obscure éparse dans la nuit.

Et pâle et frissonnant je fis cet appel sombre,