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Le flot eût dit au vent : c’est lui. Souffle moins fort.
L’azur eût murmuré : paix à la voile blonde !
L’écueil eût fait effort pour se courber sous l’onde.
L’être multiple épars dans l’expiation
L’eût partout conseillé de son vague rayon ;
Sentant cette belle âme humaine, bonne et tendre,
Se baisser, et toucher leur chaîne, et la détendre,
La création brute au difforme poitrail,
L’instinct, cette lueur de l’âme au soupirail,
Le grand Tout, ce flot sourd qui s’enfle et qui se creuse,
L’énormité, la chose informe et ténébreuse,
L’horreur des bois, l’horreur des mers, l’horreur des cieux,
Tout le mystérieux, tout le prodigieux,
Fût accouru, soumis, à son appel sublime,
À travers l’ombre ; et l’homme eût eu pour chien l’abîme.
Il sentirait, rêveur, satisfait, ébloui,
La pénétration des étoiles en lui ;
L’ange le montrerait à l’ange qui se penche ;
Il serait aujourd’hui la grande tête blanche
Aperçue au-dessus du gouffre et de la nuit.

Mais il n’a rien compris, rien sondé, rien traduit,
Rien aimé, que lui-même et lui seul. L’égoïste
Vit dans sa vanité démesurée et triste,
Presque en dehors du groupe immense des vivants.
Dans ce sombre univers, monceau d’esprits rêvants,
Il voit deux êtres : lui qu’il sent, Dieu qu’il suppose.