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Eh ! vois donc les douleurs de ces bêtes hagardes !

Ah ! la souffrance étant l’avenir, tu la gardes !
Tu n’en veux que pour toi ! tout le reste est trop vil.
Tu vois l’arbre se tordre et : tu dis Souffre-t-il ?
Tu dis : — La brute meurt ; son souvenir s’envole
Elle ne s’aperçoit pas même qu’on la vole.
Quoi ! l’homme fils unique, et l’univers bâtard !

Quoi ! tes maux seuls auraient le paradis plus tard
Qui, vrai pour toi, serait pour tout autre une fable !
La bête trouverait l’Éternel insolvable !
Quoi ! les monstres auraient, songeurs silencieux,
Droit de hocher la tête en présence des cieux !
Dieu baisserait les yeux devant leur sombre lutte !
Ils pourraient lui jeter le mépris de la brute !
Quoi ! devant les soleils, les astres triomphaux,
Et l’étoile, et l’aurore, ils pourraient dire : or faux !
Douleur, néant, horreur, seraient la destinée !
Quoi ! la création tout entière damnée,
Rêve affreux ! pas de but ; l’homme seul arrivé ;
Souffrir, et ne rien voir ; la douleur, œil crevé ;
Tout injuste, une vaste et stupide spirale
D’êtres perdus, sans jour, sans nœud, sans loi morale,
Allant on ne sait où, venant on ne sait d’où,
Et, tout au fond de l’ombre effroyable, Dieu fou !
Ce Jéhovah Moloch ! que veut-on que j’en fasse ?
Songe exécré ! crachat de l’homme sur ta face,
Ô mon Dieu ! calomnie au père universel !
Bave d’inventions qui tacherait le ciel,
Si la fange pouvait atteindre, écume vile,
Dieu, l’outragé sublime, éternel et tranquille !