Page:Dieu, par Victor Hugo, 1891.djvu/211

Cette page n’a pas encore été corrigée

Tu voudrais sur la-terre être un être suprême ;
Créancier exigeant, tu te plains d’être né
À demi, que le ciel ne t’ait pas tout donné,
Que Dieu soit en retard, que lui, lui qui médite,
Lui qui vit, ne t’ait pas, à l’échéance dite,
Fait livraison de l’ombre et de l’éternité ;
Et tu voudrais encore que tout l’autre côté
De la création, misère inaperçue,
Fût à jamais plongé dans la nuit sans issue !
Mais tu dis : — Le caillou brisé, l’arbre abattu,
Ne souffrent point ; la bête ignore. — Qu’en sais-tu ?
Sais-tu la profondeur du soupir, et l’abîme
Du cri ? pour voir le fond du gouffre, es-tu la cime ?
Et s’il était des pleurs qui coulent en dedans ?
Et s’il était un doigt, léché des flots grondants,
Qui sentît tressaillir la montagne plaintive,
Et pour qui le rocher fût une sensitive ?
Que sais-tu ? Ta morale ; ô juif, payen, chrétien,
Est une carte obscure et bizarre du bien
Et du mal, dont tu peins a ton gré les frontières.

Ce livre, dont tu fais la table des matières,
L’as-tu lu ? Que vois-tu par ton trou de prison ?
Portes-tu dans ton-œil l’insondable horizon ?
Fermes-tu l’univers en fermant ta fenêtre ?
De quel droit marques-tu des limites a l’être,
Et dis-tu, te penchant sur le monde obscurci
Et sur le flot vivant : On souffre jusqu’ici !