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Souffrir, traîner la vie est l’affaire d’une heure ;
« L’astre me tire hors de l’ombre inférieure.
« Mes maux obligent Dieu ; le baume après le fiel ;
« Tout homme en pleurs a droit au regard éternel.
« Tous, l’esclave, le nègre aux reins ceints d’une pagne,
« Le casseur de cailloux songeant dans la campagne,
« Le vil forçat, roulant quelque horrible rocher,
« N’ont qu’à gémir pour voir Jéhovah se pencher.
« L’oubli que ferait Dieu du dernier et du moindre
« Suffirait pour ôter au jour le droit de poindre,
« Pour que l’univers ploie et tremble comme un jonc,
« Pour que l’étoile ait peur et dise : qu’est-ce donc ?
« Et pour qu’au seuil de l’ombre aux profondes marées,
« Les constellations se dressent effarées !
« Oui ; je souffre, mais j’ai, dans mon accablement,
« Hypothèque sur l’aube et sur le firmament,
« Sur tous les éléments que, vivants, nous subîmes,
« Sur l’équilibre immense et sombre des abîmes !
« Je suis aux fers, j’ai soif ; j’ai faim, j’ai froid, j’ai chaud ;
« Mais le paradis brille aux fentes du cachot.

« De ce monde si noir l’ombre est à claire-voie.
« Dieu juste ne veut pas que ma larme me noie ;
« Jamais le port ne manque au pauvre matelot ;
« Ma tempête aboutit à l’azur ; mon sanglot
« Sourit subitement et s’achève cantique.
« Mourir, c’est naître à Dieu. Je suis Caton d’Utique,
« Je ne veux point du bât que portent les romains,
«