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ASCENSION DANS LES TÉNÈBRES.


Tout miroir, étant piége, à mon souffle est terni.
Contre l’enivrement du splendide infini
Je garde les penseurs, ces pauvres mouches frêles.
Je tiens les pieds de ceux dont l’azur prend les ailes.
Je suis parfum, poison, bien, mal, silence, bruit ;
Je suis en haut midi, je suis en bas minuit ;
Je vais, je viens, je suis l’alternative sombre ;
Je suis l’heure qui fait sortir, en frappant l’ombre,
Douze apôtres le jour, la nuit douze césars.
Du beau donnant sa forme au grand je fais les arts.

Dans les milieux humains, dans les brumes charnelles,
J’erre et je vois ; je suis le troupeau des prunelles.
Je suis l’universel, je suis le partiel.
Je nais de la vapeur ainsi que l’eau du ciel,
Et j’éclos du rocher comme le saxifrage.
Je sors du sentier vert, du foyer, du naufrage,
Du pavé du chemin, de la borne du champ,
Des haillons du noyé sur la grève séchant,
Du flambeau qui s’éteint, de la fleur qui se fane.

Je me suis appelé Pyrrhon, Aristophane,
Démocrite, Aristote, Ésope, Lucien,
Diogène, Timon, Plaute, Pline l’Ancien,
Cervantes, Bacon, Swift, Locke, Rousseau, Voltaire.
Je suis la résultante énorme de la terre :
La raison. —